LA
COTE DES VIKINGS:
Toponymie des rivages du Val de Saire (Manche)
Depuis déjà plusieurs décennies,
les spécialistes de toponymie normande
se sont penchés sur les nombreuses
traces de l'ancienne largue Scandinave que
l'on peut relever en Normandie. Mais ce
qui a été le plus étudié,
ce sont les noms des communes (ou des paroisses
quand il s'agit de l'Ancien Régime).
Or, si ces toponymes montrent bien quelle
a été l'implantation des Scandinaves
au Xe siècle dans telle ou telle
région, ils ne font généralement
pas apparaître l'activité de
ces nouveaux occupants du sol.
On constate en effet que, le plus souvent,
les éléments qui les constituent
sont ou bien des uoms propres de personnes,
ou bien des noms communs se rapportant à
l'habitat ou à la description du
sol. Il n'est certes pas sans intérêt
de savoir qu'un Scandinave nommé
Anquetil a possédé autrefois
Anctoville (" le domaine d' Anquetil
") et un autre du même nom Anquetot
(de topt " village "), ni qu'une
église s'élevait à
Carquebut (de kirkja, " église
" et budh, " abri"), qu'un
cours d'eau froid arrosait Caudebec (de
kald, " froid " et bekkr, "
cours d'eau "), qu'un bois de chênes
s'étendait sur l'actuel territoire
d'Yquelon (d'eik, "chêne",
et de lundr, "bois"), ou qu'une
falaise surplombait Verclives (de cliff,
" falaise ").
Mais,
à vrai dire, du moins du point de
vue linguistique, les anthroponymes ne présentent
qu'un intérêt limité.
Les noms communs nous en apprennent sans
doute davantage, car s'ils ont été
conservés dans les noms de lieux,
c'est que les populations les ont largement
utilisés. Il est rare cependant qu'ils
constituent un vocabulaire cohérent
évoquant une certaine activité.
Or c'est ce que nous avons trouvé
dans la microtoponymie des côtes du
Val de Saire, ce coin nord-est du Cotentin
dans la Manche. L'examen des lieux-dits
de cette région, ajouté à
celui des noms de communes, nous a permis
non seulement d'y reconnaître la présence
des Vikings, mais aussi de retrouver leurs
préoccupations de navigateurs. Qu'il
s'agisse des formes ou du relief du pays
qui leur fournissaient des points de repères,
du dessin de ses rivages, du choix dès
points où l'on peut accoster facilement
ou seulement mouiller son bateau, la toponymie
d'aujourd'hui nous aide à suivre
les mouvements de ces lointains envahisseurs,
même lorsque des transformations de
noms plus ou moins fantaisistes cachent
le sens originel de certaines appellations
.
Pour
cette étude, nous nous sommes limité
aux toponymes d'origine au moins partiellement
Scandinave localisés sur les rivages
mêmes, au large immédiat de
ces rivages et sur une bande de terrain
n'excédant pas un kilomètre
de profondeur. Nous avions en effet constaté
qu'au delà de cette distance le nombre
de ces noms de lieux diminuait de façon
très sensible.
Afin d'apprécier la place que peut
occuper cette portion de côte sur
l'ensemble littoral de la Normandie, nous
avons d'abord entrepris de rechercher tous
les toponymes d'origine Scandinave dans
la bande côtière ainsi définie
depuis l'embouchure de la Bresle, à
la limite de la Picardie, jusqu'à
celle du Couesnon, à la limite de
la Bretagne, soit sur une longueur d'environ
600 kilomètres (1). Nous avons alors
constaté que, dans l'ensemble, les
côtes normandes présentaient
peu de traces Scandinaves, à l'exception
du nord du Cotentin où, au contraire,
elles abondent. Plus exactement, ce "
cordon littoral scandinavisant " s'étend
sur 75 kilomètres, de la presqu'île
de la Hougue (Saint- Vaast-la-Hougue, cant,
de Quet- tehou) au Nez de Jobourg (Jobourg,
cant, de Beaumont-Hague). Mais une partie
de cette portion de côte, longue seulement
de 37 kilomètres, se distingue particulièrement
à la fois par la densité et
par la cohérence des traces laissées
par les navigateurs vikings ; elle borde,
comme nous le disions plus haut, la plus
grande partie du Val de Saire, de la Hougue
à la Pointe du Brick, ou plus exactement
à l'Anse du Poulet qui lui fait suite
(2).
Avertissement
Dans la présentation
des étymons d'ancien Scandinave,
on trouvera les formes issues de ceux-ci
dans les langues Scandinaves modernes, lorsque
ces formes ont des rapports directs avec
celles des toponymes de Normandie. Mais
on ne se référera pas à
la toponyme Scandinave parce que celle-ci
présente une différence essentielle
par rapport à la toponymie scandinavo-normande
: dans la première, les noms de lieux
sont constitués de mots indigènes,
tandis que dans la seconde ils sont formés,
au moins partiellement, d'éléments
étrangers à la langue du pays.
Par contre, on comparera, quand ce sera
possible, les toponymes normands à
ceux de la Grande-Bretagne, puisque la toponymie
anglaise est formée, elle aussi,
dans certains cas, d'éléments
Scandinaves étrangers à la
langue (aux langues) du pays.